Je Suis Déjà Venue Ici
2019-2020
L'été dernier, ma sœur et moi flânions sans arrêt dans des endroits étranges à Berlin. Nous avons fait une balade autour d'un lac étrange. Nous avons aussi fait d'une étrange balançoire. Ce sont là les scènes que je garde en mémoire de cet étrange voyage.
Parfois, des événements ou des moments inattendus me viennent. Je me plonge dans les situations étranges qui se présentent à moi. Et je prends des images pour conserver ces moments. Pendant la prise de vue et le développement des pellicules, il y a des accidents. Mes photographies deviennent floues et vaporeuses, des détails viennent à manquer dans les scènes de ces images. Tout est gris et couleur de cendres, visuellement un peu plus muet. De plus, de nombreux effets abîmés et grattés se produisent sur la surface des pellicules et des tirages et ils ajoutent d’autres narrations possibles. Des sentiments étranges et inconnus peuvent nous rendre anxieux face à ces images, mais je me sens personnellement bizarrement rassurée.
A première vue, on ne peut pas situer avec résolution le temps ou l'espace. Mais on a le sentiment d’être déjà venu ici avant, une impression de déjà-vu. On n’est plus dans la photographie classique qui fixe une scène contemplée et arrête la marche du temps. Une composition de temps possibles, différés et lointains qui viennent coaguler dans la matière-même de l’image qui évoque mouvance du regard, errance des souvenirs, glissements des récits, jeu de mémoire et d'oubli. Des scènes et des histoires qu'on pourrait imaginer et représenter indéfiniment se déploient devant moi dans les images incertaines.
Il ne s’agit pas seulement du moment où j'ai pris la photographie, il y a aussi celui de la « post-production », les traces et les taches obtenues pendant le développement et le tirage, et tous ceux qu’évoque le cliché aux personnes qui les regardent. J'imagine aussi des réminiscences de la mémoire de quelqu'un d’autre ou les endroits d’une personne qui aurait vécu avant ma naissance. Ce serait comme si j’avais pris tous ces moments sur mes négatifs.
En ce sens, la technique de photographie argentique (surtout en noir et blanc - sa qualité et sa richesse des gris) convient au travail de jouer avec des moments. L’argentique demande une implication physique à chacune de ses étapes de réalisation. Quand mes mains, mes yeux et le passage du temps se rejoignent dans un même espace, des images apparaissent lentement. Dans ce processus, des éléments supplémentaires interviennent dans la photographie en enlevant des détails et laissant des traits inconnus (soit inintentionnellement soit volontairement). Ils montrent des formes qui doivent être différentes à chaque fois. Des scènes instables sont superposées à la vérité du réel devant l’objectif à l’instant de la prise de vue. Ces effets ajoutés à la photographie agissent comme des éléments qui nous font sentir une forme d’inquiétante étrangeté. Si le premier temps est celui de la découverte de la photographie, un deuxième temps d’interprétation suggère que ce quelque chose qui vient d’ailleurs semble familier, la situation surgit au regard comme une sorte de souvenir personnel, mais arrive le troisième temps, celui qui laisse un goût singulier de souvenir perdu. Comment une chose pourrait-elle être en même temps intime et perdue ?
On y retrouve une mémoire cachée ou oubliée, ou quelque chose qui n'existe plus. À travers ça, nous nous sommes éloignés de la réalité. Après un détour dans les zones grises de la mémoire, nous sommes de retour dans des « impressions de gris ».
La seule chose certaine est que je suis déjà venue ici.
2019-2020
L'été dernier, ma sœur et moi flânions sans arrêt dans des endroits étranges à Berlin. Nous avons fait une balade autour d'un lac étrange. Nous avons aussi fait d'une étrange balançoire. Ce sont là les scènes que je garde en mémoire de cet étrange voyage.
Parfois, des événements ou des moments inattendus me viennent. Je me plonge dans les situations étranges qui se présentent à moi. Et je prends des images pour conserver ces moments. Pendant la prise de vue et le développement des pellicules, il y a des accidents. Mes photographies deviennent floues et vaporeuses, des détails viennent à manquer dans les scènes de ces images. Tout est gris et couleur de cendres, visuellement un peu plus muet. De plus, de nombreux effets abîmés et grattés se produisent sur la surface des pellicules et des tirages et ils ajoutent d’autres narrations possibles. Des sentiments étranges et inconnus peuvent nous rendre anxieux face à ces images, mais je me sens personnellement bizarrement rassurée.
A première vue, on ne peut pas situer avec résolution le temps ou l'espace. Mais on a le sentiment d’être déjà venu ici avant, une impression de déjà-vu. On n’est plus dans la photographie classique qui fixe une scène contemplée et arrête la marche du temps. Une composition de temps possibles, différés et lointains qui viennent coaguler dans la matière-même de l’image qui évoque mouvance du regard, errance des souvenirs, glissements des récits, jeu de mémoire et d'oubli. Des scènes et des histoires qu'on pourrait imaginer et représenter indéfiniment se déploient devant moi dans les images incertaines.
Il ne s’agit pas seulement du moment où j'ai pris la photographie, il y a aussi celui de la « post-production », les traces et les taches obtenues pendant le développement et le tirage, et tous ceux qu’évoque le cliché aux personnes qui les regardent. J'imagine aussi des réminiscences de la mémoire de quelqu'un d’autre ou les endroits d’une personne qui aurait vécu avant ma naissance. Ce serait comme si j’avais pris tous ces moments sur mes négatifs.
En ce sens, la technique de photographie argentique (surtout en noir et blanc - sa qualité et sa richesse des gris) convient au travail de jouer avec des moments. L’argentique demande une implication physique à chacune de ses étapes de réalisation. Quand mes mains, mes yeux et le passage du temps se rejoignent dans un même espace, des images apparaissent lentement. Dans ce processus, des éléments supplémentaires interviennent dans la photographie en enlevant des détails et laissant des traits inconnus (soit inintentionnellement soit volontairement). Ils montrent des formes qui doivent être différentes à chaque fois. Des scènes instables sont superposées à la vérité du réel devant l’objectif à l’instant de la prise de vue. Ces effets ajoutés à la photographie agissent comme des éléments qui nous font sentir une forme d’inquiétante étrangeté. Si le premier temps est celui de la découverte de la photographie, un deuxième temps d’interprétation suggère que ce quelque chose qui vient d’ailleurs semble familier, la situation surgit au regard comme une sorte de souvenir personnel, mais arrive le troisième temps, celui qui laisse un goût singulier de souvenir perdu. Comment une chose pourrait-elle être en même temps intime et perdue ?
On y retrouve une mémoire cachée ou oubliée, ou quelque chose qui n'existe plus. À travers ça, nous nous sommes éloignés de la réalité. Après un détour dans les zones grises de la mémoire, nous sommes de retour dans des « impressions de gris ».
La seule chose certaine est que je suis déjà venue ici.